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vendredi 6 avril 2012


L’évolution électrique de Miles Davis
Vincent Turban
Après sa prestation à la seconde édition du festival de L’Île de Wight en Août 1970, Miles Davis, en perpétuelle recherche d’évolution sonore, décide d’amener la musique jazz vers des horizons plus électriques.

Le processus commença à la fin des années 60 avec l’introduction d’instruments amplifiés comme le piano Fender Rhodes ou la basse Fender. Des albums comme In A Silent Way (1968) et surtout Bitches Brew (1969) annoncent la direction musicale prise par le plus grand trompettiste de l’histoire du jazz.

La rupture entre le jazz traditionnel et le jazz fusion s’établit avec la Bande Originale du film Jack Johnson (1970), ou pour la première fois un bassiste venant de la soul et du funk (le terrifiant Michael Henderson, 19 ans à l’époque et officiant auprès de Stevie Wonder) prend la place vacante laissée par Dave Holland, parti en Septembre. Miroslav Vitous assurera l’intérim jusqu’à l’arrivée de Henderson en Décembre 1970.
A l'Ile de Wight en 1970

La découverte de Jimi Hendrix, de James Brown et de Sly Stone impressionna tellement Miles que le basculement vers le jazz fusion se fit de la manière la plus naturelle qui soit. De plus, pour rendre hommage au Voodoo Child (Hendrix) disparu le 18 Septembre 1970, Davis amplifia le son de son instrument par l’ajout d’une pédale wah-wah en plus de sa sourdine. La révolution sonore apparut lors des séries de concerts au Cellar Door de Washington avec en featuring le guitariste britannique John McLaughlin (Album Live-Evil et coffret The Cellar Doors Sessions).

Dans une démarche visant à « africaniser et funkifier » sa musique, Miles embaucha le fils du saxophoniste Jimmy Heath, James Mtume Forman, en renfort pour doubler les percussions de Don Alias puis, suite au départ de McLaughlin parti former le Mahavishnu Orchestra, le guitariste Reggie Lucas (producteur de Madonna dans les 80’s) .
Miles Davis à Berlin en 1971


1972 est l’année de la rencontre avec le multi instrumentiste Paul Buckmaster. Ce dernier initie Miles Davis à la musique concrète et expérimentale de Karl Heinz Stockhausen, posant ainsi les bases de l’album le plus controversé de la discographie de Miles, « On The Corner », enregistré de Juin à Juillet 1972. Sur cet opus, la machine binaire tourne à plein régime, dynamitée par les aboiements imprévisibles de la trompette électrique.



Pas loin de 3 batteurs (Billy Hart, Al Foster, Jack De Johnette), 4 percussionnistes (Mtume, Don Alias, Billy Hart et Badal Roy aux tablas), 4 claviéristes (Chick Corea, Harold Williams, Cedric Lawson et Herbie Hancock), 2 saxophonistes (Carlos Garnett, David Liebman), 3 guitaristes (David Creamer, Reggie Lucas et le revenant John McLaughlin) et 2 sitaristes électriques (Khalil Balakrishna et Colin Walcott) furent nécessaires pour l’enregistrement d’une œuvre qui posa les fondations de la musique électronique, comme la Drum n’ bass, et qui influencera toute une génération de musiciens comme le suisse Eric Truffaz ou le  français Médéric Colignon.

Malheureusement, éclipsé par le jazz-funk plus accessible de Herbie Hancock (l’album Headhunters venait de sortir), boudé par le public afro-américain (On the Corner fut considéré par Davis comme son testament musical à l’attention de ses frères et sœurs) et démoli par les critiques de jazz comme Stanley Crouch (Comment chroniquer un disque qui est la définition du groove et du funk selon Miles ?), On The Corner fut un véritable flop au moment de sa sortie en Septembre 1972.

Pour couronner le tout, Miles Davis fut victime d’un accident de voiture le même mois en rentrant de tournée. Sa Lamborghini Miura s’écrasa contre un séparateur de voies, ce qui lui brisa les chevilles et fragilisa encore plus sa santé (hanche déboîtée, ulcères à répétitions, nodules à la gorge, abus d’alcool et de cocaïne).

1973, la formation se stabilise et trouve son rythme de croisière. A cette époque, le groupe se compose des guitaristes Reggie Lucas et Pete Cosey (pilier important de la scène blues de Chicago, accompagnateur de Muddy Waters et Etta James), du bassiste Michael Henderson, du percussionniste Mtume, du saxophoniste Dave Liebman (le seul élément jazz) et du batteur Al Foster.

La tessiture sonore oscille entre les improvisations jazz et les grooves funk, et une série de tournées à travers les 4 coins du monde (Allemagne, Yougoslavie, France, Japon…) diffuse la révolution sonore et déstabilise de plus en plus les jazzmen les plus radicaux.

Columbia Records en profite pour sortir des recueils studios regroupant des sessions enregistrées entre 1969 et 1974 (albums Big Fun et Get Up With It) à destination du public noir mais ne rencontre toujours pas le succès attendu.

L’apogée de la période électrique atteint son paroxysme avec la trilogie Dark Magus (Concert au Carnegie Hall de New York  le 30 Mars 1974), Agharta (concert du matin le 1er Février 1975 à Tokyo) et Pangaea (même endroit mais le soir). C’est le chant du  cygne de Miles, de plus en plus malade et diminué, qui ne supporte plus de jouer amplifié.


En Mars 1975, Davis se retire pour une retraite forcée de 4 ans mais le phénix renaîtra de ses cendres au cours de la décennie suivante (à partir de 1981) poursuivant son évolution sonore en surfant sur les nouveaux styles à la mode (hip-hop et rap) jusqu’à sa disparition le 28 Septembre 1991 à l’âge de 65 ans.

Rares sont les musiciens à avoir changé la grande histoire contemporaine de la musique jazz comme Miles Dewey Davis III.

Discographie selective (1969-1975)

-Bitches Brew (1969)

-A Tribute to Jack Johnson (1971)

-On The Corner (1972)

-Big Fun (1974)

-Get Up With It (1974)

-Agharta (1975)

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